samedi 22 août 2009

La polémique des miniatures islamiques en Algérie

L’ouvrage, "Soufisme, l'héritage commun" de Khaled Bentounès, cheikh de la zaouia alawiya, a fait l’objet de critiques violentes de la part du Haut Conseil Islamique (HCI) et de l’association des Oulémas algériens.
Les critiques ont essentiellement porté sur la forme et non pas sur le fond, en reprochant au livre d’être illustré par des miniatures islamiques représentant le Prophètes et certains saints ainsi que la présentation de l’image de l’Emir Abdelkader sur un fond décoré par une étoile de David ! S’agissant du contenu, le HCI reproche au livre d’appeler à la dissolution de l’Islam en une sorte de nouvelle religion qui ferait la synthèse des trois religions monothéistes ! Vaste programme donc que de vouloir unir trois religions en une seule, surtout pour un livre qui n’a même pas la prétention d’être un ouvrage de théologie ni même d’être celui d’un vrai historien. Selon l’auteur lui-même, ce modeste ouvrage n’est qu’une « simple énumération des étapes de la propagation de l’Islam avec des emprunts repris à titre d’illustration de cette épopée ». Il est illustré avec des miniatures musulmanes qui représentent des personnages historiques et des saints, dont le Prophète Mohamed, ce qui n’a rien d’exceptionnel car les œuvres sont dans des bibliothèques et des musées de pays musulmans comme la Turquie et l’Iran. Les imams du HCI ignorent-ils que ces miniatures ont été diffusées plusieurs fois dans le monde musulman ? Confondent-ils encore entre image profane et image religieuse ? Ignorent-ils que l’Islam n’interdit pas l’image ni la représentation humaine et que les écoles des beaux-arts existent dans tous les pays musulmans, y compris en Iran où des sculptures humaines sont érigées dans toutes les villes ?
Nul besoin d’être un clerc pour comprendre que le livre de Bentounès ne contrevient à aucun précepte de l’Islam, le simple bon sens suffisant. Mais puisque les motifs qui ont suscité cette tempête de critiques semblent tellement dérisoires, beaucoup se demandent s’il ne s’agit pas d’un règlement de compte qui aurait d’autres motivations. Les non-dits dans les réponses de l’auteur du livre le laissent supposer.
Pour l’essentiel, les critiques du HCI ne portent donc pas sur le fond du livre mais sur sa forme. Ne concernant pas le contenu, elles ne devraient avoir aucun intérêt n’était le fait qu’elles émanent d’une institution aussi importante que le HCI. La forme d’un livre ne suscite jamais le débat mais de faux débats. Entrons donc dans ce faux débat suscité par une honorable institution ; entrons-y afin d’apporter du sens, pas du non-sens ; afin d’éclairer les esprits, pas de les obscurcir.
La critique d’un livre ou de tout autre production de l’esprit par une institution comme le HCI est supposée être bien argumentée, étayée de références solide et respectueuse dans sa formulation… Or il s’agit d’un laconique communiqué de quelques lignes envoyé à la presse. Dans le fond comme dans la forme ces « critiques » ne sont donc pas du niveau escompté d’une institution supposée faire preuve de profondeur et de pédagogie lorsqu’elle émet un avis public. Cette légèreté et cette simplicité laissent des trous et des zones d’ombre qui pourraient induire en erreur et orienter le public très moyen ou déjà fanatisé. Ce public pourrait interpréter le communiqué en question comme un avis ou une fetwa qui interdirait l’art purement et simplement.
Le HCI est supposée aborder des sujets sensibles et essentiels qu’ils soient d’ordre théologiques, social ou humain. Il est surtout supposé avoir les instruments, les moyens et les compétences pour ne jamais dévier vers la polémique, la trivialité, les inepties. Mais les critiques à la légère, nos imams en sont bien habitués, notamment lorsqu’ils sont face à une caméra de télévision et qu’ils ont reçu instruction de soutenir telle ou telle politique. Et cela, l’honorable institution qu’est le HCI ne l’a jamais critiqué ! Comme elle n’a jamais donné son avis sur la future grande mosquée qui est un gaspillage énorme d’argent alors que le gaspillage est un péché grave en Islam.
Selon le HCI, la couverture du livre est « choquante » car elle lierait l’Emir Abdelkader à l’étoile de David, une étoile qui « est devenue symbole du sionisme connu pour son hostilité envers l'islam », dixit le HCI. J’ai eu beau chercher l’étoile de David, je ne l’ai pas vu sur ladite couverture du livre. J’y vois sept formes géométriques contenant des images dont celle de l’Emir abdelkader. Ces sept formes ressemblent à des carrés et sont posés sur une autre forme noire disposée sur un fond vert. Le motif ou la composition contenant l’image de l’Emir Abdelkader n’a rien à voir avec l’étoile de David et ne peut la symboliser. On ne symbolise pas un symbole. La virulence de l’attaque suppose que le motif soit clairement reproduit et ne prêter à aucune confusion, or nous sommes à mille lieux non seulement d’une étoile de David mais d’une étoile à cinq, six, neuf, huit, douze ou mille branches ! A un fou, le test de Rorschach ferait voir des monstres à la place d’un papillon !
Un portrait de l’émir Abdelkader entouré d’une étoile de David ! Il est difficile d’imaginer que pareille image puisse exister, ou que le Cheikh Benyounès ait permis sa publication à supposer qu’un infographique timbré l’eut réalisée ! Il est également difficile d’imaginer qu’un peintre orientaliste ou algérien ait réalisé pareille image. Et même si le motif incriminé était une étoile à six branches, toutes les étoiles à six branches ne sont pas des étoiles de David. L’étoile de David que le peuple Juif s’attribue comme son symbole, notamment depuis la création de l’état d’Israël, a des caractéristiques précises : elle se compose de deux triangles équilatéraux superposés. Tous les éléments de l’étoile doivent être visibles mais puisqu’on dit qu’elle renferme le portrait de l’émir en son centre cela signifie donc que ce n’est pas une étoile de David parce qu’on ne verrait pas les triangles dans leur intégralité. Dans cette « critique » il y a une absurdité qui dépasse l’entendement.
Mais soyons plus précis dans la définition d’une étoile de David, qui n’est ‘ailleurs pas le symbole des seuls Juifs et encore moins des Sionistes ! De plus, cette étoile qui a figuré sur le bouclier de David – un prophète reconnu par les Musulmans – est le symbole de plusieurs sectes et sociétés qui l’adoptent également et lui donnent d’autres dénominations : sceau de Salomon, double triangle, étoile à six branches, hexagramme, talisman de Saturne… Donc même si le motif apparaissait clairement, son attribution par le HCI aux sionistes avec cette déconcertante légèreté atteste d’une déficience grave en matière de connaissance des civilisations, d’histoire et de symboles. Précisons pour nos lecteurs que ce signe qui figure sur le drapeau d’Israël, c’est Hitler qui l’a définitivement accolé aux Juifs qui se le sont appropriés bien que les Francs-maçons l’utilisent eux aussi depuis longtemps. Souvent associé au compas, cet hexagramme est l’un de leurs principaux symboles. L’émir Abdelkader était-il Franc-maçon ? Peu importe. Et s’il l’a été cela relève de sa seule liberté. En tout cas, il est absurde de l’associer aux Juifs même s’il les a beaucoup défendus, notamment lors de sa déportation en Syrie. Et si les Francs-maçons revendiquent eux aussi cette étoile, c’est parce qu’elle est une sorte de symbole mathématique. En vérité, l’hexagramme est né sur le plateau de Guizeh, dans l’ancienne Egypte. Issue du pyramidion disparu et de la géométrie, cette étoile à six branches symbolise Pi, 3,14 ! En la mettant sur le drapeau national d’Israël, le peuple Juif se revendique comme l’héritier du savoir pharaonien !

Le deuxième grief : les miniatures

Passons au deuxième grief fait au livre de Bentounès : celui de reproduire des miniatures représentant le prophète Mohamed. Le HCI se base, semble-t-il, sur une vieille fetwa d’El Azhar qui interdirait de peindre, dessiner ou de sculpter le Prophète et ses compagnons. Or les miniatures en question ont été réalisées durant l’Age d’Or de l’Islam, une période où l’on créait et inventait dans tous les domaines et ne se contentait pas d’interdire ou de censurer comme durant cette décadence qui dure justement parce qu’elle est infertile. Le HCI qualifie même ces illustrations d’être « loin d’être fiables » sans préciser sur quel plan (ressemblance, historique ?), puis d’ajouter : « Ce qui est surprenant, c’est que certaines images sont osées » mais sans dire sur quel plan ! L’adjectif « osées » risque de semer du doute car en français, il signifie ce qu’il signifie dans n’importe quel contexte. En vérité, ce genre de miniatures, qui sont généralement d’origine turque ou persane, soit d’obédience sunnite et chiite, ne sont pas offensantes mais visent plutôt à faire comprendre et illustrer des péripéties et des moments de la vie de Mohamed ou des saints. Elles ont été réalisées pour des ouvrages d’histoire car, rappelons-le, en cette période les livres étaient manuscrits, calligraphiés par des scribes et illustrés par eux-mêmes ou bien par des peintres spécialisés.
D'abord rappelons que le miniaturiste algérien Mohamed Racim a représenté le Prophète dans sa miniature Histoire de l'Islam. Cela, nos savant du HCI semblent l'ignorer!!! L'œuvre est au Musée national des Beaux-arts d'Alger: qu'ils aillent en faire un autodaffé!!!
L’une des toutes premières peintures musulmanes représentant le Prophète remonte à 1307. Parmi les ouvrages contenant ce genre d’images il y a « Jami’ al-Tawarih », un livre d’histoire générale écrit par Rashid al-Din Fadl-Allah entre 1306 et 1314. Une copie d’un livre de l’historien Tabari contient aussi des images du Prophète. Un autre livre fut réalisé dans le palais de l’Empereur Baysungur en 1436 : il est écrit en turc et comprend 57 miniatures dont certaines figurent le Prophète Mahomet. Un autre livre est « Siyer-i Nebi » que l’auteur Dariri de Erzurum a écrit au 14ème siècle. Une copie de cet ouvrage a été faite par le sultan Ottoman Sultan Murad lui-même à la fin du 16ème siècle. C’était l’époque où les sultans faisaient de la calligraphie et de la miniature, pas celui où l’on censure des livres ! Cette période glorieuse de l’art du livre islamique était celle où les Chrétiens allaient à Damas, Baghdad, Mossoul, Tabriz, Le Caire, Cordoue ou Grenade pour apprendre les sciences et acheter ces précieux livres de médecine, d’histoire, de philosophie ou de mathématiques illustrés de belles miniatures et de beaux dessins.
Tous ces trésors, tous ces livres illustrés par les artistes musulmans sont une fierté pour notre culture et notre civilisation en son apogée. Ils sont précieusement conservés dans les musées de Topkapi, d’Istanbul, Téhéran, Londres, Berlin, New York ; et les fanatiques de tous bords qui parlent de censure et d’autodafé devraient plutôt en être fiers ! Ne leur en déplaise donc, l’art de l’Islam comprend de très nombreuses miniatures qui représentent non seulement le Prophète Mohamed mais certains de ses compagnons ainsi que d’autres prophètes, Adam et Eve…. Ce ne sont que des illustrations à la gloire du Messager et de l’Islam. Leurs détracteurs ignorent certainement que le Prophète lui-même a protégé les images de Jésus et de Marie qui figuraient sur la Qaaba. Ses Compagnons voulaient effacer toutes les peintures figurant sur la pierre noire, il s’interposa, mit sa main sur le mur et ordonna de n’effacer que ce qu’il y avait au-dessus, soit les icônes païennes, pas les représentations chrétiennes.
Le HCI, organe consultatif auprès de la présidence, a demandé à l'auteur d'ôter les « images qui ont suscité la controverse » ou de les « masquer par quelque autre procédé ». Le président de l'association des oulémas, Abderrahmane Chibane, exige quant à lui l'interdiction pure et simple d'un livre qui « porte atteinte à la sacralité du prophète Mahomet ».
En demandant de masquer les miniatures « par quelque autre procédé », le HCI revient à un procédé utilisé par des fanatiques au Moyen âge et qui consistait à barrer d’un trait de plume le cou des personnages figurant sur des miniatures. Comme si un trait sur le cou d’un personnage lui ôtait la vie ou l’âme et que du coup ce personnage devenait un objet inanimé, puisque peindre des objets, des plantes ou des animaux est licite en Islam, selon ces fanatiques. Le HCI semble ignorer que l’Islam n’interdit pas l’image ni la représentation du corps humain aussi bien en peinture qu’en sculpture. Or l’Islam interdit l’adoration des images comme il interdit l’adoration des animaux ou des objets à la place de Dieu. L’Islam n’est pas une religion iconoclaste mais une religion aniconiste, selon Titus Burckhardt. Mais les « savants du culte » algériens semblent ignorer les fetwas émises au début du 20ème siècle et autorisant la création artistique et la représentation figurative. Pourtant, jusque dans les années 1970, la photographie et la télévision étaient interdites en Arabie Saoudite pour le même motif. Puis, comme par miracle les Saoudiens ont fini par comprendre que ni la peinture ni la photographie ni le cinéma ni la télévision ne font concurrence à Allah, El Moussawir, et que les œuvres d’art (peinture, dessin, sculpture) réalisées par l’homme n’ont pas une fonction religieuse mais profane, au même titre que le dessin industriel, la biologie ou les mathématiques. Mais que de temps perdu, d’injustices et de gâchis avant d’arriver à une évidence !
S’ils avaient également lu des livres comme L’art de l’Islam de Titus Burckhardt ils auraient élargi leur esprit. Tout vrai théologien, savant du culte ou imam est supposé doué d’un savoir encyclopédique qui inclue les sciences et les arts, l’astronomie et de nombreux autres domaines. Mais loin derrière nous semble donc le temps où l’Islam engendrait des Ghazali, des Ibn Rochd… Aujourd’hui, la facilité déconcertante avec laquelle des imams se prononcent sur des sujets qui les dépassent est vraiment inquiétante et semble augurer des temps d’une inquisition encore plus sombre. Pourtant il n’est pas nécessaire d’être un génie ou un théologien pour comprendre que l’Islam ne peut pas interdire la peinture ni la sculpture : le seul bon sens suffit car l’artiste n’a pas la prétention de concurrencer Dieu ni d’ériger des idoles à adorer. Ses œuvres ont une vocation profane, et sont fondamentalement nécessaires pour l’avancée de l’esprit et la connaissance humains : Léonard de Vinci a fait L’écorché, le célèbre dessin qui montre les muscles humains. L’islam interdirait-il pareille image ? Mais le génie de la Renaissance n’aurait jamais réalisé son écorché s’il n’avait auparavant réalisé des centaines d’autres dessins et peintures représentant des humains et des animaux ! Comme aujourd’hui, il est impossible de devenir designer et réaliser des maquettes de voitures, de montres, de trains, de machines à laver ou de téléphones sans être passé par le dessin des plantes, de visages, de corps humains ou d’animaux…
Il est grave que des imams ignorent cela, et que leur ignorance les rende si prompts à tirer sur l’art sans en connaître la portée économique, industrielle, sociale... En vérité, le dernier des prêtres chrétiens a un niveau bien supérieur et sait que toutes les disciplines humaines sont nécessaires et interdépendantes. Emettre un jugement aussi hâtif sur la base de connaissances rudimentaires est une catastrophe qui traduit l’état de la pensée actuelle en Islam – ou plutôt de la réflexion car le mot pensée est trop noble pour désigner le niveau. La comparaison avec la pensée chrétienne doit passer par la comparaison des compétences des hommes de culte, qui dans la sphère chrétienne sont définitivement sortis de l’Inquisition et de sa bêtise moyenâgeuses par le biais du savoir et de la recherche dans tous les domaines, y compris scientifique. Les hommes d’église s’intéressent au cinéma, au théâtre ou à la musique autant qu’aux sciences et aux techniques. Certains imams musulmans préconisent cet éclectisme et cette ouverture d’esprit à leurs pairs, espérant qu’ils prendraient conscience de la nécessité de combler leur retard et défaillances. Car le domaine du religieux et de la théologie n’est pas séparé des autres disciplines, voire qu’il n’y a de théologie et de pensée religieuse qu’articulées sur une connaissance scientifique, artistique, historique… C’est ce que montre le livre de Bentounès, qui est accueilli à boulets rouges par ses détracteurs.
Or, à partir du seul mot du prophète Mohamed « Dieu est beau et il aime la Beauté » n’importe quel imam devrait comprendre que l’Islam ne peut pas interdire l’art, qui est la recherche du Beau et d’une beauté n’aspirant pas à concurrencer celle du Créateur tout simplement parce qu’elles sont des œuvres humaines. Laissons Burckhardt l’expliquer : « Cette parole du Prophète ouvre des perspectives illimitées, non seulement pour la vie intérieure, où la beauté aimée par Dieu est avant tout celle de l’âme, mais aussi pour l’art, dont le vrai but, compris à la lumière de cet enseignement prophétique, est de prêter un support à la contemplation de Dieu. Car la beauté est un rayonnement de l’univers, et toute œuvre belle en est un reflet. » Cette assertion devrait être érigée en fetwa par nos imams qui, malheureusement, manquent de compétence et de culture dans des domaines qu’ils considèrent comme secondaires et où pourtant ils sont prompts à censurer, à l’image de ces attaques contre un livre et des miniatures qui ne sont offensants que pour les esprits arriérés.
D’ailleurs la culture et l’art d’une manière générale ont fait l’objet de moult interdits « religieux », de moult hérésies et accusations fanatiques. Plusieurs imams algériens ont affirmé sur les chaînes de radio et de télévision que l’Islam interdisait la peinture et/ou la sculpture. Les uns ont soutenu que le Coran interdirait « ce qui projette de l’ombre », les autres ont dit que seules les représentations humaines seraient interdites, d’autres encore ont affirmé qu’à certaines sculptures il ne manque que la voix pour ressembler à l’homme et que le Jour du Jugement dernier Dieu demanderait à leurs auteurs de les faire parler… Parce qu’une sculpture projette de l’ombre, comme un être humain, elle devrait être interdite ! Les simplets définissent l’être humain par le seule ombre qu’il projette ! Une sculpture en bois à qui il ne manquerait que la parole ! Pourtant même un bébé sait que sa poupée qui chante et qui danse n’est pas un être humain car il lui manquera toujours l’intelligence, l’âme, le sang et les organes que ne peuvent avoir ni une poupée, ni une sculpture ou même un robot. Ce niveau catastrophiquement bas et cette indigence intellectuelle ont fait beaucoup de dégâts. Voilà pourquoi la violence verbale qui en est issue est synonyme de la violence criminelle qui a engendré l’assassinat de plusieurs écrivains et artistes algériens dont Alloula, Sebti, Djaout, Hasni… Evidemment, l’Algérie n’est pas un cas unique dans cette fureur qui cible la culture et les hommes de culture, car la culture donne à l’Homme des instruments pour réfléchir, évoluer, se libérer des archaïsmes et des complexes et appréhender la religion comme un acte de spiritualité personnel qui élève l’Individu au lieu de l’asservir.
Lorsqu’un « savant » du culte n’a pas les outils pour interpréter correctement une œuvre culturelle, il ne doit pas se précipiter à condamner mais plutôt essayer de se questionner sur son propre niveau. Il est supposé savoir que lorsque son avis devient public il peut être de conséquences graves qui échappent à son contrôle. Ce n’est malheureusement pas le cas des savants musulmans qui, durant les dernières décennies, se sont souvent illustrés pas des avis intempestifs et irréfléchis qui ont eu de graves conséquences. Puis ils se sont rétractés avec la même facilité. La légèreté avec laquelle une institution a porté des critiques et des accusations procède d’une même mentalité obscurantiste que celle qui a engendré la destruction des statues géantes afghanes par les talibans en 2005.
Sur le contenu, le HCI accuse le livre de Bentounès d’aller plus loin que le message de tolérance interreligieuse et d’ouverture : il laisserait entendre « une unification de toutes les religions » !!! Nous croyons rêver. Evidemment, cette thèse est étrange mais nul besoin de lire le livre pour comprendre que ni le Cheikh Bentounès ni même le plus farfelu des hurluberlus n’oserait soutenir ou préconiser pareille absurdité. Est-ce le livre ou le niveau des lecteurs qui est à l’origine d’une si grosse méprise ?
Vu le nombre de faux arguments qui étayent l’accusation on se demande s’il n’y a pas une autre raison à cette tempête. On sait que le Cheikh Lakhdar Bentounès a dit que le hidjab n'est pas une « obligation religieuse », en se basant sur une interprétation logique des Versets et du Coran, rejoignant ainsi un imam égyptien des années 1920 qui a également rejeté le port du hidjab par la femme. Cette position sur la question sensible de la tenue vestimentaire – qui compte beaucoup pour la domination de la femme dans une société patriarcale hyper machiste – n’est-elle pas la vraie cause du litige HCI-Zaouia Alawia ? La publication des miniatures supposées connues de n’importe quel citoyen, pas seulement d’honorables savants du culte, n’est-elle pas un prétexte pour vilipender une zaouia dont le livre ne fait que diffuser des miniatures pour la nième fois ?
Puis le Haut Conseil Islamique a accepté l’arbitrage proposé par l’auteur du livre et il sera donc fait appel à d’autres savants, apparemment étrangers, pour décider du sort d’un ouvrage. L’acceptation d’un arbitrage n’est-elle pas déjà un aveu d’incompétence ? Pourquoi l’honorable institution accepte-t-elle un arbitrage dans un domaine supposé être de sa compétence et sur lequel elle s’est déjà prononcée ? Mais peu importe ce que diront les juges appelés à la rescousse : les accusations surréalistes du HCI risquent d’avoir déjà induit bon nombre de gens en erreur.

A.E.T.

La Grande Mosquée d'Alger : El Adham. Inutile, coûteuse et archaïque

Il est étonnant que la réalisation de la future Grande mosquée d’Alger (Al Ad’ham est son nom) n’ait suscité aucun débat dans notre pays. Ce débat n’était pas attendu des partis politiques devenus muets depuis leur échec électoral, ni des médias dont la majorité fournit un service minimum en matière de culture. C’est de la société civile ou de ce qu’il en reste qu’on attendait des avis, des critiques, des propositions sur ce projet qui engage non seulement des sommes colossales mais le devenir de la capitale, de son urbanisme et de son esthétique.
Car il est indéniable qu’une fois réalisée, cette mosquée va défigurer la capitale et son panorama. Lorsque l’on truffait inutilement la capitale de trémies, seuls un ou deux urbanistes et architectes ont élevé la voix, conscients que la solution aux problèmes de pollution et d’embouteillage réside en une nouvelle réglementation routière (des jours sans véhicules, des entrées selon la plaque minéralogique…) et en le développement des transports publics, non pas en la transformation de la ville en gruyère.
Alors que ce grave problème de la circulation et des transports n’est pas réglé l’on songe à construire une gigantesque mosquée dont l’utilité n’est point avérée dans la mesure où il n’y a pas de déficit en matière de lieux de culte. L’Algérie qui dispose de dizaines de milliers de mosquées a-t-elle besoin d’une mosquée d’une capacité de 120 000 fidèles ? Pour la remplir faudrait-il vider pour cela les mosquées d’Alger ou bien ramener les fidèles par bus entiers depuis leurs lointains villages ? Ou encore faudrait-il inventer un pèlerinage pour ce nouveau lieu de culte ?
Les mosquées algéroises sont-elles engorgées à ce point pour engager ce projet gigantesque ? Le père de Mohamed VI a fait édifier la mosquée Hassan II à laquelle il faut au moins avouer une certaine beauté même si son esthétique appartient au passé alors que l’architecture doit être vivante et refléter le génie et la sensibilité de son temps. Pour des raisons connues d’ordre politique et de prestige, Hassen II a renoué avec la mégalomanie de certains souverains musulmans d’antan qui, au travers les édifices de culte, essayaient de redorer leur blason. L’édifice fut inauguré en 1993. Puis ce fut au tour d’un Saddam Hussein en perte de vitesse de s’engager dans la course au plus grand lieu de culte. En pleine guerre avec l’Iran, Saddam ne trouvera pas mieux que de commencer l’érection d’un gigantesque mosquée à Baghdad, une mosquée qui dresse aujourd’hui son inutile carcasse de béton inachevée après avoir dévoré des sommes colossales. Tandis que certains chefs d’Etats musulmans sont en train de comprendre la nécessité du rationalisme politique, voila certains autres qui, faute d’imagination et de vision, versent dans une course effrénée aux mosquées. Mettant des sommes faramineuses dans leurs « réalisations », ils sacrifient à une tendance au gigantisme que l’on observe aujourd’hui, une tendance d’ailleurs inconnue dans l’histoire de l’art islamique qui a privilégié la beauté, la nécessité et l’utilité à tout autre paramètre de dimensions ou de prestige. Il n’est pas étonnant que les prêcheurs connus de l’islam n’aient jamais abordé ce sujet qui les dépasse, faut-il dire, car aucun d’eux ne connaît l’histoire de l’art musulman. Quant aux islamistes, ils semblent apprécier cette gabegie qui consacre leur stratégie. Or le gigantisme était le fait des temples pharaoniens, incas et d’autres païens, pas celui de l’art islamique qui obéit à une philosophie de la mesure, de la nécessité et du besoin, pas à ces critères que l’on voit dans la mosquée Hassan II et dans la future Al Ad’ham d’Alger. L’art chrétien ignore également le gigantisme. Il a, lui aussi, privilégié l’esthétique et la recherche de la perfection architecturale surtout depuis la Renaissance en faisant appel à de grands architectes et à des artistes comme Michel Ange, Leonard de Vinci, Raphaël...
Hassan II a fini pas ériger la plus grande mosquée de l’extrême Ouest du monde musulman mais son édifice est loin d’avoir la beauté des anciennes mosquées de Fès ou de Casablanca. De plus, la mosquée Hassen II n’est jamais pleine car après la curiosité du début, les fidèles ont préféré retourner aux petites mosquées de leurs quartiers. Néanmoins, le pouvoir marocain peut se consoler que la deuxième plus grande mosquée du monde après celle de la Mecque soit devenue un site touristique obligé des tours operators car elle a au moins cette finalité d’attirer les touristes peu exigeants en matière d’architecture.

La concurrence par le gigantisme

La concurrence entre ces deux « pays frères » ne connaîtra-t-elle jamais de meilleurs domaines de compétition ? Le minaret de la mosquée de Casablanca culmine à 210 mètres, mais celui proposé par un architecte algérien aura 15 mètres de plus ! Marocains et Algériens veulent-ils nous faire croire que l’architecture consiste en des chiffres et des records ? On ne s’émerveille plus devant la hauteur en architecture depuis que Filippo Brunelleschi a édifié une très haute coupole à la cathédrale de Florence (un dôme terminé en 1434), depuis la Tour de Pise et surtout depuis les gratte-ciel de New York et la Tour Eiffel. Aujourd’hui les architectes admettent sagement que les premiers vrais défis relevés en hauteur ont été réalisés au Yémen avec des matériaux mille fois plus fragiles que ceux d’aujourd’hui. Plus méritoire est le défi technique du danois Otto Van Spreckelsen dans l’Arche de la défense de Paris avec des portées d’une longueur exceptionnelle. Cette Arche, qui ne fait que 106 m de haut, est pourtant un chef d’œuvre, tout comme l’est la petite pyramide du Chinois I.M. Pei au Louvre !
Ce n’est pas la taille qui fait la beauté d’un édifice mais cette harmonie des formes, des proportions, des matériaux et des couleurs que lui octroie l’architecte et qu’on appelle esthétique. Le rêve marocain d’avoir la deuxième plus grande mosquée du monde risque d’être éphémère car Alger veut lui ravir ce rang. Au dessus du minaret de la Mosquée Hassan II se trouve un rayon laser visible à 30 Km à la ronde indiquant la direction de La Mecque ! Dans son projet, l’architecte algérien n’a heureusement pas eu recours à pareil gâchis pour indiquer la direction de la kibla ! L’esplanade de la mosquée marocaine peut accueillir 80 000 personnes, et celle proposée pour Alger peut accueillir tout autant ! Haute de 60 mètres, la salle de prière de la mosquée de Casa peut accueillir 25 000 fidèles, et pour détrôner celle-ci, l’architecte algérien nous offre 5000 places de plus. C’est l’architecte français Michel Pinseau qui a réalisé la Mosquée Hassan II en collaboration avec le maître de l’œuvre Bouygues ; et si la démesure a trôné dans cet édifice « royal », admettons cependant qu’il s’intègre parfaitement dans l’espace tout en faisant face à l’océan. Reconnaissons aussi que le savoir faire de Bouygues a été ajouté au génie des artisans marocains. L’artisanat traditionnel marocain est l’un des plus développé du monde et reste intimement lié à l’architecture de ce pays qui n’a jamais laissé péricliter ses anciens métiers. Le marbre, les stucs, les verreries, les moucharabiehs en cèdre, en ébène et en acajou, les boiseries, les céramiques dignes des anciennes mosquées maghrébines et même les lustres de la mosquée Hassen II sont l’œuvre des 10 000 artisans qui se sont relayés jour et nuit pendant des années pour les façades intérieures et extérieures de la mosquée Hassan II. L’Algérie est loin d’avoir pareil potentiel et savoir faire en matière d’artisanat, voilà pourquoi la future mosquée d’Alger sera probablement un énième édifice habillé avec du toc d’importation voire, de mauvais goût ! En 1999, la mosquée de la zaouia alaouia de Mostaganem a été décorée par des artisans marocains. Dans la mesure où le style maghrébin est identique dans les deux pays, espérons ▬ au cas où cet édifice inutile serait malheureusement construit ▬ que l’Algérie leur fera appel car le travail du stuc s’est perdu chez nous depuis longtemps, tout comme les nombreux métiers nécessaires pour la décoration. En tout cas, il n’y a pas d’autre solution que d’avoir recours à nos voisins, puisqu’il semble que le projet algérien sera réalisé dans l’obsolescent et archaïque style arabomauresque, un style inséparable des vieux métiers de l’artisanat. Mais comme notre pays nous a habitués au bricolage, attendons-nous à un patchwork de mauvais goût en matière de décoration.
La somme de 3 milliards de dollars a été engloutie dans la mosquée Hassan II, dont une partie ramassée par une souscription nationale obligatoire. Même si cette mosquée s'inscrit dans un vaste projet d'aménagement urbain (ce qui n’est pas le cas d’Al Ad’ham), est-il juste de dépenser de l’argent dans le prestige et la mégalomanie quand le fonds manque le moins? Un internaute marocain a écrit ceci au sujet de la mosquée : «c’est quand même beau mais quand je sais tout ce que le peuple a pu souffrir pour sa construction (taxes et autres) je me dis qu’en regardant bien c’est pas beau ». Des chefs d’Etats conscients ne jettent pas des fortunes dans le luxe quand la misère et la pauvreté font rage comme c’est la cas dans les deux pays, faute de quoi, ils n’ont rien à envier à la mégalomanie des chefs Incas qui bâtissaient des temples sans tenir compte du nombre d’humains sacrifiés à cette fin.


L’art musulman est fonctionnel

La beauté d’un monument musulman, a fortiori une mosquée, réside dans sa simplicité, sa fonctionnalité, et sa juste dimension étudiée selon les besoins immédiats des fidèles. Même si des princes et des rois ont fait édifier des mosquées au cours des siècles passés, ils n’ont jamais essayé de passer pour autre chose que les serviteurs d’Allah. Ils se sont effacés devant le génie des architectes qui, eux, ont laissé leur génie et leur spiritualité s’exprimer. Or dans le gigantisme de la mosquée Hassan II, il y a comme une velléité du roi de laisser une trace pérenne, pour ne pas dire éternelle, dans le site. Jamais dans ou devant les mosquées réalisées auparavant (y compris la mosquée d’Omar d’El Qods, la mosquée des Omeyyade de Damas, la mosquée de Cordoue, celle de Kaïraouan, Ketchaoua ou la mosquée de Nouakchott, par exemple) on ne pense au roi ou au souverain qui les a édifiées mais seulement à Dieu. Or on ne peut s’empêcher de penser à Hassan II quand on regarde la mosquée de Casa.
L’art musulman a ses règles et ses lois, lesquelles lois haïssent le gigantisme et lui préfèrent la pureté, la simplicité et la finesse. L’exception est justifiée à la Mecque et à Médine où le nombre important de pèlerins, soit la nécessité, autorise un gigantisme qui nuit énormément à la pureté, à la finesse et à la rigueur des formes et des proportions de l’art islamique. L’édifice musulman est à dimension humaine même si sa symbolique renvoie au divin.
La gageure non relevée dans le projet marocain ou algérien aurait résidé en l’apport d’un style personnel, en l’apport d’une forme nouvelle, en un génie architectural dramatiquement absent dans cette construction qui va s’ajouter aux milliers d’autres que subit ce pays depuis quarante ans. Les quelques exceptions architecturales réalisées dans notre pays depuis l’indépendance sont l’œuvre d’architectes qui sont restés anonymes dans leurs bureaux d’études étatiques ou privés ainsi que celles des quelques architectes étrangers qui ont réalisé les œuvres que l’on sait comme Bab Ezzouar pour Oscar Niemeyer, l’université d’Oran pour I.M. Pei, les complexes touristiques d’Alger et de Tipasa pour Fernand Pouillon et c’est tout ou presque. Alors que les réalisations architecturales dignes de ce nom se comptent sur le bout des doigts dans notre pays voilà qu’on rate l’occasion de commencer à sortir de cette médiocrité où le futur projet va nous enfoncer d’avantage. Il est étonnant qu’on ait réalisé un ministère des finances très moderne et que pour une réalisation de l’envergure d’Al Ad’ham, l’on fasse les frais d’un appel d’offre international qui nous aurait au moins offert l’esthétique que les Marocains n’ont pas sacrifiée dans la mosquée Hassan II. D’immenses architectes, y compris arabes et musulmans, auraient aimé offrir à l’Algérie « sa grande mosquée » sans que le gigantisme ne prenne le dessus sur la beauté, la spiritualité et la modernité, c’est-à-dire sur l’âme d’une vraie mosquée.
Dans le projet algérien, la taille et les dimensions masquent le manque d’imagination, la banalité et la plate copie du passé. Ce sera alors une mosquée sans âme qui n’est ni du passé ni du présent, qui n’a médité ni l’histoire ni ne la transcende pour nous élever vers le divin et projeter dans le futur. Et ce n’est pas un minaret de 225 mètres ─ un record inutile et injustifié aussi bien esthétiquement, philosophiquement et techniquement car le muezzin n’a pas besoin de prendre l’ascenseur et monter si haut pour appeler à la prière puisqu’il utilise un micro connecté à un haut parleur ─ qui fera la beauté d’Al Ad’ham qui, en fait, évoque beaucoup plus un immense supermarché kitch qu’un lieu de culte. Ce n’est pas le minaret qui fait la mosquée mais la mosquée qui édicte le type de minaret. A l’heure de l’électricité, la mosquée peut exister sans minaret. Toutes les mosquées ou presque construite depuis 1962 en Algérie sont réalisées dans un style dépassé et obsolète qui, de surcroît, n’a rien à voir avec le style maghrébin développé par nos ancêtres qui ont su se distinguer du Moyen et de l’Extrême Orient.
En s’inspirant de l’architecture saharienne et malienne pour réaliser la mosquée de Hydra, le Corbusier a compris cela il y a plusieurs décennies de cela. Son magnifique édifice reste jusqu’à ce jour l’un des plus beaux lieux de culte moderne algérien, loin devant la gigantesque université coranique de Constantine et certainement devant la future Grande mosquée d’Alger. Un muezzin a-t-il besoin de monter si haut pour faire entendre sa voix aux fidèles ? L’architecte algérien le fait monter dans le ciel comme s’il devait être entendu de Dieu et non pas des hommes !
Un lieu de culte se construit avec le cœur et la sensibilité, pas avec des chiffres démesurés. Sa beauté réside en son harmonie avec le cosmos, c’est-à-dire avec un environnement qu’il ne doit aucunement déranger ou perturber. Une mosquée ne doit pas gêner la tranquillité et le bien être des gens mais, au contraire, s’inscrire dans leur milieu et l’améliorer. Si le projet d’ Al Ad’ham ne s’intègre pas dans un plan d’aménagement global, par sa démesure il mettra un terme à la tranquillité des riverains tout en défigurant le site et le panorama algérois dans sa plus belle perspective, la perspective ouest-est.
Une mosquée n’est pas faite pour écraser les hommes mais pour qu’ils s’y sentent comme chez eux ou mieux que chez eux. Une mosquée n’est pas un temple dédié à un dieu mais un lieu où les hommes prient Dieu. Dans ses dimensions, elle doit être à l’échelle humaine et non pas à l’échelle pharaonique afin de ne pas écraser les hommes ni lui donner l’impression d’être des créatures lilliputiennes. Car dans l’Islam, l’homme est grand et possède sa dignité. Par sa taille, la mosquée est sensée préserver l’intégrité physique, morale et spirituelle de l’homme, et non pas le réduire à une portion d’atome écrasée sous un poids immense et incommensurable. Même la nature n’est pas faite pour écraser l’homme, en Islam, comme en témoigne le traitement de l’homme face à celle-ci dans la miniature depuis Behzâd à Al Wassiti ou Racim.
Ce n’est pas par la taille que la mosquée évoque l’Esprit et La puissance de Dieu mais par la beauté et l’harmonie de ses formes, de ses entrelacs, de ses décorations, de ses faïences et céramiques, de ses stucs, de ses luminaires, de ses arcs et ses colonnes et surtout par cette lumière et de cette sérénité, cette paix et cette sensation de plénitude et de joie qui s’en dégagent. C’est d’ailleurs parce que l’architecture et les décorations des églises étaient tristes et celles de la mosquée joyeuses que les Chrétiens (au Moyen Age) ont essayé de compenser cela par l’introduction de la musique (clavecin, orgue). Puis l’architecture des églises a évolué et celle des mosquées a stagné, comme a stagné d’ailleurs l’architecture dans la terre islamique tout entière. Les plus belles mosquées réalisées aux 20ème et 21ème siècles sont en France, au Portugal, en Hollande, aux USA, et non pas en terre d’Islam.
Le coût du projet d’Al Ad’ham est faramineux et avoisinerait les 10 milliards de dinars selon certains médias, soit de quoi construire des centaines d’hôpitaux de très haut niveau et des centaines de kilomètres de rail de TGV. De plus, pareil projet requiert un architecte à carte de visite prestigieuse, d’où la nécessité d’ouvrir un concours international. Or c’est une société qui a été désignée suite à un concours international qui n’a pas réuni grand monde !!! S’il n’y a pas de moyen d’éviter cette dépense inutile, évitons au moins la honte sur le plan esthétique. Même les USA qui ont le plus grand nombre de grands architectes au km2 ne sacrifient pas à la règle du concours international, ni l’Allemagne, ni le Japon non plus. Voilà pourquoi la rénovation du MOMA de New York a été réalisée par un Chinois, le musée Guggenheim de Bilbao en Espagne par l’Américain Frank O. Gehry, la Pyramide du Louvre par le Chinois I.M. Pei qui, dans les années 1980, a construit l’université Essenia d’Oran… L’architecture s’est internationalisée et l’on ne cherche plus à donner des projets nationaux à des architectes nationaux mais aux auteurs des meilleures propositions quelle que soit leur nationalité. Quel que soit la nationalité de leur auteur, ces réalisations participent du prestige des nations où elles sont édifiées. Evidemment, ailleurs dans le monde, l’Etat ne réalise pas des projets ni ne dépense de l’argent pour le prestige ou pour la gloire des princes mais pour l’utilité publique. Le prestige n’est pas une fin en soi mais la valeur ajoutée d’une œuvre utile.

L’architecture témoigne du génie des peuples

Nos mosquées récentes sont d’une médiocrité affligeante et montrent que nos architectes sont insensibles aux courants modernes, se contentant de répéter les formes archaïques du passé comme le fait l’architecte algérien dans Al Ad’ham. Ils restent imperméables ─ lorsqu’ils les connaissent ou connaissent autre chose que ceux qu’ils ont appris à l’université (1) ─ aux apports d’un Tange Kenzo ou d’un Bofil, de Bernard Tschumi ou Daniel Libeskind, aux subtilités d’un Denis Valode, d’un Jean Pistre, d’un Richard Meier ou d(un Eduardo Souto de Moura qui savent que l’architecture est destinée à « vivre » (durer) des siècles et donc à témoigner pour longtemps du génie ou de la médiocrité non seulement de son auteur mais du peuple à qui elle appartient. Au vu de nos mosquées, demain, dans cinquante ans ou dans un siècle, on ne jugera pas les seuls architectes algériens qui les ont conçues mais le peuple algérien tout entier !
Le concours d'architecture pour la nouvelle bibliothèque de Paris a été lancé en 1999 et c’est l’architecte Dominique Perrault qui l’a remporté, puis on a laissé mûrir et évoluer le projet avant de le réaliser. Voilà pourquoi l’architecture dans ce pays, comme dans tous les pays qui respectent l’art, obéit à la Charte d'Athènes (datant de 1943) qui est fondatrice de l'architecture et de l'urbanisme modernes dits du style international. Cette charte énonce les moyens d'améliorer la ville moderne en permettant l'épanouissement harmonieux de quatre grandes fonctions humaines : habiter, travailler, se divertir et circuler. Ce n’est pas dans la précipitation et les opérations de prestige que l’on remplira ces conditions dans notre pays et édifiera des cités où il fait vraiment bon de vivre. A cause de la précipitation, on n’a pas tardé à se rendre compte de l’inutilité des trémies réalisées à Alger, tout comme on ne tardera pas d’ailleurs à regretter l’érection du futur grand édifice cultuel algérois.
Voilà pourquoi il est désormais indéniable que les plus belles mosquées sont réalisées en Europe, en Amérique et en Asie, hors des frontières d’un monde musulman qui refuse de se libérer de l’emprise du passé et d’accéder à la modernité. S’ils ne se départissent pas du passé, comment pourraient-ils égaler un Michel Andraud ou un Pierre Parat, une Zaha Hadid ou une Itsuko Hasegawa et d’autres maîtres de l’architecture moderne qui n’ont pas reçu leur génie du ciel mais qui sont le produit d’une volonté d’apprendre et d’évoluer, de créer et d’innover, comme le souhaite tout artiste qui se respecte.
La presse a parlé récemment de la volonté des Iraniens d’avoir le projet Al Adham. L’architecture musulmane iranienne classique s’apparente à un extrême orient qui n’a rien à voir avec notre art maghrébin. Dans la mosquée de Chevalley, près d’El Biar, les Saoudiens ont implanté un style étranger qui a servi de mauvaise référence à beaucoup d’architectes algériens qui n’ont pas pris la peine d’étudier l’histoire de l’art musulman maghrébin avant de commencer leur projet, croyant que toutes les moquées du monde sont pareilles et ignorant que le Maghreb se distingue du reste du monde par un cachet et un style particuliers. Aux Iraniens de nous imposer un autre faux modèle ? Avons-nous besoins de références anciennes et de surcroît qui ne nous appartiennent pas ? Une gigantesque masse de béton jetée dans le décor et qui pique une flèche inutile et insouciante dans le ciel ne peut, même si elle le croit dur comme fer, être « un témoignage spirituel, culturel et architectural des réalisations de la nation », pour reprendre les mots pompeux du communiqué officiel annonçant l’adoption par le gouvernement de ce projet coûteux. Au 21ème siècle, l’architecture algérienne mérite mieux qu’une masse de Guinness book copiée à la va vite sur les modules Omeyyade, des Abbasside ou Séfévide. Et si l’Algérie, 44 ans après l’indépendance n’a que quelques grands architectes c’est parce qu’on n’a pas jugé utile de construire des édifices d’utilité publique comme des stades, des opéras ou des musées qui peuvent amener leurs auteurs à créer aussi des édifices de culte comme celui, de taille pharaonique, que le pouvoir désire avoir aujourd’hui pour damer le pion à Hassan II.
Il est des jeunes étudiants de l’Ecole d’architecture qui n’ont jamais voyagé et, partant, jamais vu un édifice moderne ; et ce n’est pas autour d’eux à Alger ou Oran qu’ils trouveront l’inspiration. Le problème de l’Algérie est un problème de culture. Si l’on avait investi dans ce domaine, le pays ne serait pas sur le point de réaliser un projet d’une médiocrité désolante au coût faramineux. Construire plusieurs mosquées d’une facture architecturale moderne digne de ce nom aurait été plus utile à la fois pour le culte et pour l’architecture ; construire des musées, cinémas, des théâtres ou des stades, qui eux, font cruellement défaut aurait été faire œuvre vraiment citoyenne et édilitaire. Il n'y a que dix salles de cinéma en Algérie, et il en manque donc des milliers, comme il y a un déficit énorme de galeries d’art, de musées, de théâtres, de bibliothèques ! C’est ce qui place notre pays au rang des derniers pays du monde en matière d’infrastructures culturelles. On gaspille à tout va l'argent de la culture dans des manifestations inutiles. on croit faire de l'architecture dans un pays sans culture !!! Comme s’il pouvait y avoir d’architecture sans galeries d’art, de cinémas, de théâtres, de production cinématographique…
A.E.T.