samedi 22 août 2009

La Grande Mosquée d'Alger : El Adham. Inutile, coûteuse et archaïque

Il est étonnant que la réalisation de la future Grande mosquée d’Alger (Al Ad’ham est son nom) n’ait suscité aucun débat dans notre pays. Ce débat n’était pas attendu des partis politiques devenus muets depuis leur échec électoral, ni des médias dont la majorité fournit un service minimum en matière de culture. C’est de la société civile ou de ce qu’il en reste qu’on attendait des avis, des critiques, des propositions sur ce projet qui engage non seulement des sommes colossales mais le devenir de la capitale, de son urbanisme et de son esthétique.
Car il est indéniable qu’une fois réalisée, cette mosquée va défigurer la capitale et son panorama. Lorsque l’on truffait inutilement la capitale de trémies, seuls un ou deux urbanistes et architectes ont élevé la voix, conscients que la solution aux problèmes de pollution et d’embouteillage réside en une nouvelle réglementation routière (des jours sans véhicules, des entrées selon la plaque minéralogique…) et en le développement des transports publics, non pas en la transformation de la ville en gruyère.
Alors que ce grave problème de la circulation et des transports n’est pas réglé l’on songe à construire une gigantesque mosquée dont l’utilité n’est point avérée dans la mesure où il n’y a pas de déficit en matière de lieux de culte. L’Algérie qui dispose de dizaines de milliers de mosquées a-t-elle besoin d’une mosquée d’une capacité de 120 000 fidèles ? Pour la remplir faudrait-il vider pour cela les mosquées d’Alger ou bien ramener les fidèles par bus entiers depuis leurs lointains villages ? Ou encore faudrait-il inventer un pèlerinage pour ce nouveau lieu de culte ?
Les mosquées algéroises sont-elles engorgées à ce point pour engager ce projet gigantesque ? Le père de Mohamed VI a fait édifier la mosquée Hassan II à laquelle il faut au moins avouer une certaine beauté même si son esthétique appartient au passé alors que l’architecture doit être vivante et refléter le génie et la sensibilité de son temps. Pour des raisons connues d’ordre politique et de prestige, Hassen II a renoué avec la mégalomanie de certains souverains musulmans d’antan qui, au travers les édifices de culte, essayaient de redorer leur blason. L’édifice fut inauguré en 1993. Puis ce fut au tour d’un Saddam Hussein en perte de vitesse de s’engager dans la course au plus grand lieu de culte. En pleine guerre avec l’Iran, Saddam ne trouvera pas mieux que de commencer l’érection d’un gigantesque mosquée à Baghdad, une mosquée qui dresse aujourd’hui son inutile carcasse de béton inachevée après avoir dévoré des sommes colossales. Tandis que certains chefs d’Etats musulmans sont en train de comprendre la nécessité du rationalisme politique, voila certains autres qui, faute d’imagination et de vision, versent dans une course effrénée aux mosquées. Mettant des sommes faramineuses dans leurs « réalisations », ils sacrifient à une tendance au gigantisme que l’on observe aujourd’hui, une tendance d’ailleurs inconnue dans l’histoire de l’art islamique qui a privilégié la beauté, la nécessité et l’utilité à tout autre paramètre de dimensions ou de prestige. Il n’est pas étonnant que les prêcheurs connus de l’islam n’aient jamais abordé ce sujet qui les dépasse, faut-il dire, car aucun d’eux ne connaît l’histoire de l’art musulman. Quant aux islamistes, ils semblent apprécier cette gabegie qui consacre leur stratégie. Or le gigantisme était le fait des temples pharaoniens, incas et d’autres païens, pas celui de l’art islamique qui obéit à une philosophie de la mesure, de la nécessité et du besoin, pas à ces critères que l’on voit dans la mosquée Hassan II et dans la future Al Ad’ham d’Alger. L’art chrétien ignore également le gigantisme. Il a, lui aussi, privilégié l’esthétique et la recherche de la perfection architecturale surtout depuis la Renaissance en faisant appel à de grands architectes et à des artistes comme Michel Ange, Leonard de Vinci, Raphaël...
Hassan II a fini pas ériger la plus grande mosquée de l’extrême Ouest du monde musulman mais son édifice est loin d’avoir la beauté des anciennes mosquées de Fès ou de Casablanca. De plus, la mosquée Hassen II n’est jamais pleine car après la curiosité du début, les fidèles ont préféré retourner aux petites mosquées de leurs quartiers. Néanmoins, le pouvoir marocain peut se consoler que la deuxième plus grande mosquée du monde après celle de la Mecque soit devenue un site touristique obligé des tours operators car elle a au moins cette finalité d’attirer les touristes peu exigeants en matière d’architecture.

La concurrence par le gigantisme

La concurrence entre ces deux « pays frères » ne connaîtra-t-elle jamais de meilleurs domaines de compétition ? Le minaret de la mosquée de Casablanca culmine à 210 mètres, mais celui proposé par un architecte algérien aura 15 mètres de plus ! Marocains et Algériens veulent-ils nous faire croire que l’architecture consiste en des chiffres et des records ? On ne s’émerveille plus devant la hauteur en architecture depuis que Filippo Brunelleschi a édifié une très haute coupole à la cathédrale de Florence (un dôme terminé en 1434), depuis la Tour de Pise et surtout depuis les gratte-ciel de New York et la Tour Eiffel. Aujourd’hui les architectes admettent sagement que les premiers vrais défis relevés en hauteur ont été réalisés au Yémen avec des matériaux mille fois plus fragiles que ceux d’aujourd’hui. Plus méritoire est le défi technique du danois Otto Van Spreckelsen dans l’Arche de la défense de Paris avec des portées d’une longueur exceptionnelle. Cette Arche, qui ne fait que 106 m de haut, est pourtant un chef d’œuvre, tout comme l’est la petite pyramide du Chinois I.M. Pei au Louvre !
Ce n’est pas la taille qui fait la beauté d’un édifice mais cette harmonie des formes, des proportions, des matériaux et des couleurs que lui octroie l’architecte et qu’on appelle esthétique. Le rêve marocain d’avoir la deuxième plus grande mosquée du monde risque d’être éphémère car Alger veut lui ravir ce rang. Au dessus du minaret de la Mosquée Hassan II se trouve un rayon laser visible à 30 Km à la ronde indiquant la direction de La Mecque ! Dans son projet, l’architecte algérien n’a heureusement pas eu recours à pareil gâchis pour indiquer la direction de la kibla ! L’esplanade de la mosquée marocaine peut accueillir 80 000 personnes, et celle proposée pour Alger peut accueillir tout autant ! Haute de 60 mètres, la salle de prière de la mosquée de Casa peut accueillir 25 000 fidèles, et pour détrôner celle-ci, l’architecte algérien nous offre 5000 places de plus. C’est l’architecte français Michel Pinseau qui a réalisé la Mosquée Hassan II en collaboration avec le maître de l’œuvre Bouygues ; et si la démesure a trôné dans cet édifice « royal », admettons cependant qu’il s’intègre parfaitement dans l’espace tout en faisant face à l’océan. Reconnaissons aussi que le savoir faire de Bouygues a été ajouté au génie des artisans marocains. L’artisanat traditionnel marocain est l’un des plus développé du monde et reste intimement lié à l’architecture de ce pays qui n’a jamais laissé péricliter ses anciens métiers. Le marbre, les stucs, les verreries, les moucharabiehs en cèdre, en ébène et en acajou, les boiseries, les céramiques dignes des anciennes mosquées maghrébines et même les lustres de la mosquée Hassen II sont l’œuvre des 10 000 artisans qui se sont relayés jour et nuit pendant des années pour les façades intérieures et extérieures de la mosquée Hassan II. L’Algérie est loin d’avoir pareil potentiel et savoir faire en matière d’artisanat, voilà pourquoi la future mosquée d’Alger sera probablement un énième édifice habillé avec du toc d’importation voire, de mauvais goût ! En 1999, la mosquée de la zaouia alaouia de Mostaganem a été décorée par des artisans marocains. Dans la mesure où le style maghrébin est identique dans les deux pays, espérons ▬ au cas où cet édifice inutile serait malheureusement construit ▬ que l’Algérie leur fera appel car le travail du stuc s’est perdu chez nous depuis longtemps, tout comme les nombreux métiers nécessaires pour la décoration. En tout cas, il n’y a pas d’autre solution que d’avoir recours à nos voisins, puisqu’il semble que le projet algérien sera réalisé dans l’obsolescent et archaïque style arabomauresque, un style inséparable des vieux métiers de l’artisanat. Mais comme notre pays nous a habitués au bricolage, attendons-nous à un patchwork de mauvais goût en matière de décoration.
La somme de 3 milliards de dollars a été engloutie dans la mosquée Hassan II, dont une partie ramassée par une souscription nationale obligatoire. Même si cette mosquée s'inscrit dans un vaste projet d'aménagement urbain (ce qui n’est pas le cas d’Al Ad’ham), est-il juste de dépenser de l’argent dans le prestige et la mégalomanie quand le fonds manque le moins? Un internaute marocain a écrit ceci au sujet de la mosquée : «c’est quand même beau mais quand je sais tout ce que le peuple a pu souffrir pour sa construction (taxes et autres) je me dis qu’en regardant bien c’est pas beau ». Des chefs d’Etats conscients ne jettent pas des fortunes dans le luxe quand la misère et la pauvreté font rage comme c’est la cas dans les deux pays, faute de quoi, ils n’ont rien à envier à la mégalomanie des chefs Incas qui bâtissaient des temples sans tenir compte du nombre d’humains sacrifiés à cette fin.


L’art musulman est fonctionnel

La beauté d’un monument musulman, a fortiori une mosquée, réside dans sa simplicité, sa fonctionnalité, et sa juste dimension étudiée selon les besoins immédiats des fidèles. Même si des princes et des rois ont fait édifier des mosquées au cours des siècles passés, ils n’ont jamais essayé de passer pour autre chose que les serviteurs d’Allah. Ils se sont effacés devant le génie des architectes qui, eux, ont laissé leur génie et leur spiritualité s’exprimer. Or dans le gigantisme de la mosquée Hassan II, il y a comme une velléité du roi de laisser une trace pérenne, pour ne pas dire éternelle, dans le site. Jamais dans ou devant les mosquées réalisées auparavant (y compris la mosquée d’Omar d’El Qods, la mosquée des Omeyyade de Damas, la mosquée de Cordoue, celle de Kaïraouan, Ketchaoua ou la mosquée de Nouakchott, par exemple) on ne pense au roi ou au souverain qui les a édifiées mais seulement à Dieu. Or on ne peut s’empêcher de penser à Hassan II quand on regarde la mosquée de Casa.
L’art musulman a ses règles et ses lois, lesquelles lois haïssent le gigantisme et lui préfèrent la pureté, la simplicité et la finesse. L’exception est justifiée à la Mecque et à Médine où le nombre important de pèlerins, soit la nécessité, autorise un gigantisme qui nuit énormément à la pureté, à la finesse et à la rigueur des formes et des proportions de l’art islamique. L’édifice musulman est à dimension humaine même si sa symbolique renvoie au divin.
La gageure non relevée dans le projet marocain ou algérien aurait résidé en l’apport d’un style personnel, en l’apport d’une forme nouvelle, en un génie architectural dramatiquement absent dans cette construction qui va s’ajouter aux milliers d’autres que subit ce pays depuis quarante ans. Les quelques exceptions architecturales réalisées dans notre pays depuis l’indépendance sont l’œuvre d’architectes qui sont restés anonymes dans leurs bureaux d’études étatiques ou privés ainsi que celles des quelques architectes étrangers qui ont réalisé les œuvres que l’on sait comme Bab Ezzouar pour Oscar Niemeyer, l’université d’Oran pour I.M. Pei, les complexes touristiques d’Alger et de Tipasa pour Fernand Pouillon et c’est tout ou presque. Alors que les réalisations architecturales dignes de ce nom se comptent sur le bout des doigts dans notre pays voilà qu’on rate l’occasion de commencer à sortir de cette médiocrité où le futur projet va nous enfoncer d’avantage. Il est étonnant qu’on ait réalisé un ministère des finances très moderne et que pour une réalisation de l’envergure d’Al Ad’ham, l’on fasse les frais d’un appel d’offre international qui nous aurait au moins offert l’esthétique que les Marocains n’ont pas sacrifiée dans la mosquée Hassan II. D’immenses architectes, y compris arabes et musulmans, auraient aimé offrir à l’Algérie « sa grande mosquée » sans que le gigantisme ne prenne le dessus sur la beauté, la spiritualité et la modernité, c’est-à-dire sur l’âme d’une vraie mosquée.
Dans le projet algérien, la taille et les dimensions masquent le manque d’imagination, la banalité et la plate copie du passé. Ce sera alors une mosquée sans âme qui n’est ni du passé ni du présent, qui n’a médité ni l’histoire ni ne la transcende pour nous élever vers le divin et projeter dans le futur. Et ce n’est pas un minaret de 225 mètres ─ un record inutile et injustifié aussi bien esthétiquement, philosophiquement et techniquement car le muezzin n’a pas besoin de prendre l’ascenseur et monter si haut pour appeler à la prière puisqu’il utilise un micro connecté à un haut parleur ─ qui fera la beauté d’Al Ad’ham qui, en fait, évoque beaucoup plus un immense supermarché kitch qu’un lieu de culte. Ce n’est pas le minaret qui fait la mosquée mais la mosquée qui édicte le type de minaret. A l’heure de l’électricité, la mosquée peut exister sans minaret. Toutes les mosquées ou presque construite depuis 1962 en Algérie sont réalisées dans un style dépassé et obsolète qui, de surcroît, n’a rien à voir avec le style maghrébin développé par nos ancêtres qui ont su se distinguer du Moyen et de l’Extrême Orient.
En s’inspirant de l’architecture saharienne et malienne pour réaliser la mosquée de Hydra, le Corbusier a compris cela il y a plusieurs décennies de cela. Son magnifique édifice reste jusqu’à ce jour l’un des plus beaux lieux de culte moderne algérien, loin devant la gigantesque université coranique de Constantine et certainement devant la future Grande mosquée d’Alger. Un muezzin a-t-il besoin de monter si haut pour faire entendre sa voix aux fidèles ? L’architecte algérien le fait monter dans le ciel comme s’il devait être entendu de Dieu et non pas des hommes !
Un lieu de culte se construit avec le cœur et la sensibilité, pas avec des chiffres démesurés. Sa beauté réside en son harmonie avec le cosmos, c’est-à-dire avec un environnement qu’il ne doit aucunement déranger ou perturber. Une mosquée ne doit pas gêner la tranquillité et le bien être des gens mais, au contraire, s’inscrire dans leur milieu et l’améliorer. Si le projet d’ Al Ad’ham ne s’intègre pas dans un plan d’aménagement global, par sa démesure il mettra un terme à la tranquillité des riverains tout en défigurant le site et le panorama algérois dans sa plus belle perspective, la perspective ouest-est.
Une mosquée n’est pas faite pour écraser les hommes mais pour qu’ils s’y sentent comme chez eux ou mieux que chez eux. Une mosquée n’est pas un temple dédié à un dieu mais un lieu où les hommes prient Dieu. Dans ses dimensions, elle doit être à l’échelle humaine et non pas à l’échelle pharaonique afin de ne pas écraser les hommes ni lui donner l’impression d’être des créatures lilliputiennes. Car dans l’Islam, l’homme est grand et possède sa dignité. Par sa taille, la mosquée est sensée préserver l’intégrité physique, morale et spirituelle de l’homme, et non pas le réduire à une portion d’atome écrasée sous un poids immense et incommensurable. Même la nature n’est pas faite pour écraser l’homme, en Islam, comme en témoigne le traitement de l’homme face à celle-ci dans la miniature depuis Behzâd à Al Wassiti ou Racim.
Ce n’est pas par la taille que la mosquée évoque l’Esprit et La puissance de Dieu mais par la beauté et l’harmonie de ses formes, de ses entrelacs, de ses décorations, de ses faïences et céramiques, de ses stucs, de ses luminaires, de ses arcs et ses colonnes et surtout par cette lumière et de cette sérénité, cette paix et cette sensation de plénitude et de joie qui s’en dégagent. C’est d’ailleurs parce que l’architecture et les décorations des églises étaient tristes et celles de la mosquée joyeuses que les Chrétiens (au Moyen Age) ont essayé de compenser cela par l’introduction de la musique (clavecin, orgue). Puis l’architecture des églises a évolué et celle des mosquées a stagné, comme a stagné d’ailleurs l’architecture dans la terre islamique tout entière. Les plus belles mosquées réalisées aux 20ème et 21ème siècles sont en France, au Portugal, en Hollande, aux USA, et non pas en terre d’Islam.
Le coût du projet d’Al Ad’ham est faramineux et avoisinerait les 10 milliards de dinars selon certains médias, soit de quoi construire des centaines d’hôpitaux de très haut niveau et des centaines de kilomètres de rail de TGV. De plus, pareil projet requiert un architecte à carte de visite prestigieuse, d’où la nécessité d’ouvrir un concours international. Or c’est une société qui a été désignée suite à un concours international qui n’a pas réuni grand monde !!! S’il n’y a pas de moyen d’éviter cette dépense inutile, évitons au moins la honte sur le plan esthétique. Même les USA qui ont le plus grand nombre de grands architectes au km2 ne sacrifient pas à la règle du concours international, ni l’Allemagne, ni le Japon non plus. Voilà pourquoi la rénovation du MOMA de New York a été réalisée par un Chinois, le musée Guggenheim de Bilbao en Espagne par l’Américain Frank O. Gehry, la Pyramide du Louvre par le Chinois I.M. Pei qui, dans les années 1980, a construit l’université Essenia d’Oran… L’architecture s’est internationalisée et l’on ne cherche plus à donner des projets nationaux à des architectes nationaux mais aux auteurs des meilleures propositions quelle que soit leur nationalité. Quel que soit la nationalité de leur auteur, ces réalisations participent du prestige des nations où elles sont édifiées. Evidemment, ailleurs dans le monde, l’Etat ne réalise pas des projets ni ne dépense de l’argent pour le prestige ou pour la gloire des princes mais pour l’utilité publique. Le prestige n’est pas une fin en soi mais la valeur ajoutée d’une œuvre utile.

L’architecture témoigne du génie des peuples

Nos mosquées récentes sont d’une médiocrité affligeante et montrent que nos architectes sont insensibles aux courants modernes, se contentant de répéter les formes archaïques du passé comme le fait l’architecte algérien dans Al Ad’ham. Ils restent imperméables ─ lorsqu’ils les connaissent ou connaissent autre chose que ceux qu’ils ont appris à l’université (1) ─ aux apports d’un Tange Kenzo ou d’un Bofil, de Bernard Tschumi ou Daniel Libeskind, aux subtilités d’un Denis Valode, d’un Jean Pistre, d’un Richard Meier ou d(un Eduardo Souto de Moura qui savent que l’architecture est destinée à « vivre » (durer) des siècles et donc à témoigner pour longtemps du génie ou de la médiocrité non seulement de son auteur mais du peuple à qui elle appartient. Au vu de nos mosquées, demain, dans cinquante ans ou dans un siècle, on ne jugera pas les seuls architectes algériens qui les ont conçues mais le peuple algérien tout entier !
Le concours d'architecture pour la nouvelle bibliothèque de Paris a été lancé en 1999 et c’est l’architecte Dominique Perrault qui l’a remporté, puis on a laissé mûrir et évoluer le projet avant de le réaliser. Voilà pourquoi l’architecture dans ce pays, comme dans tous les pays qui respectent l’art, obéit à la Charte d'Athènes (datant de 1943) qui est fondatrice de l'architecture et de l'urbanisme modernes dits du style international. Cette charte énonce les moyens d'améliorer la ville moderne en permettant l'épanouissement harmonieux de quatre grandes fonctions humaines : habiter, travailler, se divertir et circuler. Ce n’est pas dans la précipitation et les opérations de prestige que l’on remplira ces conditions dans notre pays et édifiera des cités où il fait vraiment bon de vivre. A cause de la précipitation, on n’a pas tardé à se rendre compte de l’inutilité des trémies réalisées à Alger, tout comme on ne tardera pas d’ailleurs à regretter l’érection du futur grand édifice cultuel algérois.
Voilà pourquoi il est désormais indéniable que les plus belles mosquées sont réalisées en Europe, en Amérique et en Asie, hors des frontières d’un monde musulman qui refuse de se libérer de l’emprise du passé et d’accéder à la modernité. S’ils ne se départissent pas du passé, comment pourraient-ils égaler un Michel Andraud ou un Pierre Parat, une Zaha Hadid ou une Itsuko Hasegawa et d’autres maîtres de l’architecture moderne qui n’ont pas reçu leur génie du ciel mais qui sont le produit d’une volonté d’apprendre et d’évoluer, de créer et d’innover, comme le souhaite tout artiste qui se respecte.
La presse a parlé récemment de la volonté des Iraniens d’avoir le projet Al Adham. L’architecture musulmane iranienne classique s’apparente à un extrême orient qui n’a rien à voir avec notre art maghrébin. Dans la mosquée de Chevalley, près d’El Biar, les Saoudiens ont implanté un style étranger qui a servi de mauvaise référence à beaucoup d’architectes algériens qui n’ont pas pris la peine d’étudier l’histoire de l’art musulman maghrébin avant de commencer leur projet, croyant que toutes les moquées du monde sont pareilles et ignorant que le Maghreb se distingue du reste du monde par un cachet et un style particuliers. Aux Iraniens de nous imposer un autre faux modèle ? Avons-nous besoins de références anciennes et de surcroît qui ne nous appartiennent pas ? Une gigantesque masse de béton jetée dans le décor et qui pique une flèche inutile et insouciante dans le ciel ne peut, même si elle le croit dur comme fer, être « un témoignage spirituel, culturel et architectural des réalisations de la nation », pour reprendre les mots pompeux du communiqué officiel annonçant l’adoption par le gouvernement de ce projet coûteux. Au 21ème siècle, l’architecture algérienne mérite mieux qu’une masse de Guinness book copiée à la va vite sur les modules Omeyyade, des Abbasside ou Séfévide. Et si l’Algérie, 44 ans après l’indépendance n’a que quelques grands architectes c’est parce qu’on n’a pas jugé utile de construire des édifices d’utilité publique comme des stades, des opéras ou des musées qui peuvent amener leurs auteurs à créer aussi des édifices de culte comme celui, de taille pharaonique, que le pouvoir désire avoir aujourd’hui pour damer le pion à Hassan II.
Il est des jeunes étudiants de l’Ecole d’architecture qui n’ont jamais voyagé et, partant, jamais vu un édifice moderne ; et ce n’est pas autour d’eux à Alger ou Oran qu’ils trouveront l’inspiration. Le problème de l’Algérie est un problème de culture. Si l’on avait investi dans ce domaine, le pays ne serait pas sur le point de réaliser un projet d’une médiocrité désolante au coût faramineux. Construire plusieurs mosquées d’une facture architecturale moderne digne de ce nom aurait été plus utile à la fois pour le culte et pour l’architecture ; construire des musées, cinémas, des théâtres ou des stades, qui eux, font cruellement défaut aurait été faire œuvre vraiment citoyenne et édilitaire. Il n'y a que dix salles de cinéma en Algérie, et il en manque donc des milliers, comme il y a un déficit énorme de galeries d’art, de musées, de théâtres, de bibliothèques ! C’est ce qui place notre pays au rang des derniers pays du monde en matière d’infrastructures culturelles. On gaspille à tout va l'argent de la culture dans des manifestations inutiles. on croit faire de l'architecture dans un pays sans culture !!! Comme s’il pouvait y avoir d’architecture sans galeries d’art, de cinémas, de théâtres, de production cinématographique…
A.E.T.

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